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Photo du rédacteurjmdevesa

Les Ronds-points de jouvence et la forêt qui marche



Chronique du Grand Arrière (9). Les premiers actes des Gilets Jaunes, je ne les ai pas vécus avec eux mais suivis devant mon écran d’ordinateur, connecté à des media indépendants et militants comme Cerveaux non disponibles et Nantes révoltée (cette Nantes révoltée contre laquelle Gérald Darmanin a entamé une procédure de dissolution administrative qui a suscité la protestation de la Ligue des droits de l’homme et près de 40 000 signatures de soutien). J’ai eu l’occasion, à plusieurs reprises, dans mon petit livre Scènes de la guerre sociale paru en octobre 2020 ou en juin 2021 lors du colloque « Les Révoltes populaires en Aquitaine des temps modernes à nos jours. De la révolte des Pitauds aux Gilets Jaunes » piloté par l’Association PourQuoiPas, d’indiquer les circonstances et les raisons qui m’ont décidé à les rejoindre en janvier 2019 et à manifester avec eux, en leur sein, pendant presqu’une année, jusqu’à ce que le mouvement contre la réforme des retraites, à la fin de l’automne, souffle quelques braises d’espérance, celles d’un combat susceptible de mobiliser très largement, davantage qu’auparavant, en rassemblant les forces à bien des égards nouvelles drainées par les Gilets Jaunes, celles-ci relevant fréquemment de secteurs populaires précaires et déclassés, extrêmement dynamiques courageuses et braves quoique sans expérience des luttes (le film J’veux du soleil de Gilles Perret et François Ruffin les évoque assez bien), et les bataillons de la fonction publique des grandes entreprises, ceux du salariat dit protégé, en quelque sorte les gilets rouges (bien que souvent d’un rouge passé et affadi) de la gauche syndicale et politique.


Ce scénario a tourné court tout comme les quelques velléités revendicatives qui, en milieu universitaire, durant l’hiver 2019-2020, ont juste provoqué des ronds dans l’eau, avant que la logique biopolitique de l’Élysée et du gouvernement opte pour un confinement qui nous a précipités dans une société de contrôle renforcée.


Mais ce n’est pas l’enchaînement des événements intervenus entre la disparition de Steve à Nantes le 21 juin et le black out imposé par Macron le 17 mars 2020 que je souhaite évoquer à ce micro. Je voudrais plutôt saluer les femmes et les hommes qui ont procédé à l’encerclement des agglomérations à taille et à fonction de métropoles depuis les ronds-points situés en zones périphériques et « rurbaines » qu’ils occupaient comme autant de « grands arrières » aménagés à renfort de cabanes et d’amour, avant de débouler au cœur même des quartiers gentrifiés, voués à la touristification, en direction de lieux emblématiques du pouvoir (l’Arc de triomphe les Champs-Élysées le Secrétariat d’état de la rue de Grenelle à Paris ; la place Pey-Berland la cathédrale Saint-André et le palais Rohan à Bordeaux ; la place du Capitole à Toulouse ; la préfecture du Puy-en-Velay, etc.), avec la volonté farouche de porter la contestation sur le terrain de l’adversaire.


De ces invisibles en colère qui sans le savoir passaient fort opportunément de la guerre des positions en semaine à la guerre de mouvement le samedi, bousculant et médusant à la fois la classe dirigeante, les appareils d’État et les unités affectées au maintien de l’ordre, les uns et les autres empêtrés dans un premier temps dans une défense statique incapable de tarir le flot de manifestants, on a alors dit qu’ils étaient des incultes et des sauvages, et pire que des analphabètes de la graine populiste, des antisémites et des fachos.


Et comme leur irruption là et à un moment où on ne les attendait pas en avait déstabilisé plus d’un en leur fichant de surcroît la frousse, on s’est acharné contre eux, avec l’objectif de les circonscrire et de les contenir, de les isoler et de les nasser, de les réprimer et de les punir. Il ne leur serait pas pardonné leur crime, celui d’avoir rappelé, en chamboulant la quiétude consumériste de la capitale et des principales villes françaises, que l’exaspération imprime parfois un irrépressible élan et que c’est souvent lorsqu’on n’a plus rien à perdre qu’on prend tous les risques, même celui de foncer tête baissée contre les cordons de policiers de baqueux de crs et de gendarmes. On connaît la suite, les gazés, les frappés, les blessés, les mutilés, les contrôlés, les arrêtés, les verbalisés, les condamnés, les emprisonnés, les victimes directes et indirectes d’une violence d’État articulée à des mesures d’exception, scélérates, qu’on n’avait plus vues ni subies depuis 1968 et le début des années 1970.

Ces Gilets Jaunes, moi, je les ai aimés, et j’ai volontiers fraternisé avec eux, à leur côté j’ai cru rajeunir, avec eux j’ai ri et j’ai eu peur, avec eux j’ai crié et j’ai chanté, avec eux et grâce à eux dans l’intensité de ce que nous traversions je suis devenu moins laid. Leur cortège, quand il était d’importance, et qu’il entamait sa progression le long des quais de la Garonne, avait cette dimension épique qui m’arrache des larmes quand, dans Macbeth, toute une forêt s’ébranle pour abattre les murailles derrière lesquelles la tyrannie s’est abritée. Sur le bitume et les pavés, ces gilets Jaunes, mes camarades, étaient tous d’une beauté et d’une intelligence shakespeariennes.




Ce billet est illustré par la photographie que j'ai prise d'un 45 tours de Dominique Grange (compagne de Tardi ; à l'époque de la parution de ce disque, elle s'inscrivait dans le sillage de la Gauche prolétarienne).

Merci à Urbs de m'avoir permis (récemment : Vive Saint-Michel, le dimanche !) de photographier cette "rareté".





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