Je termine l’année plongé dans Des Livres et des femmes (Gallimard, 2021), publié par Michel Schneider, et je sais que j’en ai encore pour un bon bout de temps, lequel ouvrage n’est pas un roman mais un livre de bord relevant de ceux, assez rares, dont la lecture bouscule et qui exigent, non seulement d’être parcourus crayon en main, c’est-à-dire étudiés, mais surtout médités, attendu qu’ils sont de nature à féconder la réflexion et l’écriture de celles et de ceux qui s’y immergent, pour peu que ceux-ci se laissent toucher par tel ou tel aspect de leurs propos. Schneider tente d’y consigner ce que sa trajectoire personnelle et littéraire lui a appris concernant les rapports complexes qu’entretiennent (pour lui et probablement quelques autres) la littérature, le désir des femmes et le politique.
Il y a dix ans, en 2011, à Bordeaux j’ai rencontré l’écrivain à l’occasion de la publication de Comme une ombre (une narration sous forme d’enquête visant à cerner la figure d’un double des plus dérangeants, sur fond d’amour et de guerre d’Algérie), et de sa présentation. Depuis cette soirée où je l’avais remercié pour son Marilyn dernières séances qui, en 2008, avait contribué à cautériser certaines de mes plaies (qu’il serait oiseux, en cette minute, de rappeler), je ne l’ai plus croisé.
De son livre paru cette rentrée je ne suis pas encore parvenu à la moitié, ces lignes sont en effet rédigées alors que je viens juste d’atteindre la page 215 sur les 470 qu’il comprend.
En cette trêve des confiseurs - que je vis comme une parenthèse d’autant plus heureuse que je suis à jour de mes obligations académiques et de leur lot de corrections (généralement démoralisantes parce qu’extrêmement décevantes) et que je tiens mes résolutions en la matière (préparer ma prochaine retraite en prenant soin de mettre dès maintenant mes affaires universitaires en ordre, ce qui implique de me détacher progressivement d’une institution en panne de pensée et de transmission parce que de plus regardée par le pouvoir comme un dispositif permettant de contrôler l’entrée d’une classe d’âge sur le marché du travail) -, je procède sans aucune précipitation, m’autorisant à prendre des notes et m’accordant même des pauses, et suspendant parfois mon labeur pour me perdre dans des rêveries ou des réflexions, au bord de l’océan, là où j’ai mes quartiers, l’esprit joyeux parce que dans la certitude que les observations et remarques de Schneider sont déjà en train d’alimenter mon propre cheminement de pensée et mon ouvroir romanesque, en particulier pour ce qui est de l’engagement politique, même si j’en suis au premier abord heurté. J’ai dit plus haut que Des livres et des femmes me bousculait : il m’invite à questionner (via Augustin, Pascal et Freud) pourquoi et comment j’ai en ma prime jeunesse embrasser une cause pour laquelle je me suis investi sans compter et de quelle manière je la restitue, avec des accents et une tonalité de roman familial. Cet effort de lucidité est certes éprouvant, je le crois indispensable pour créer les conditions d’une œuvre et aussi aborder plus sereinement le soir de mon existence.
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