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  • Photo du rédacteurjmdevesa

Des vœux et de l’année nouvelle.



Chronique du Grand Arrière (6). En ce mercredi 5 janvier, nous voilà entrés en pleine période de présentation des vœux : du président de la République au simple quidam, nous avons jusqu’au 31 du mois pour nous acquitter de ce qui, pour les uns, est une heureuse attention portée à celles et à ceux qui nous entourent, et pour les autres une convention sans grande portée humaine, dont on s’acquitte dans le cercle privé comme dans la cité et au travail pour avoir la paix et échapper à la mauvaise réputation.


Il est vrai que l’exercice, celui des vœux, quand il est pratiqué par les détenteurs du pouvoir, au sein de la classe politique, parmi les media, au sommet des institutions publiques et privées, dans les appareils d’État, et dans la vie de tous les jours, dans nos entreprises nos commerces nos administrations nos localités et nos quartiers, comme un numéro de méchant magicien, cet exercice a de quoi nous arracher un gros rire ou nous mettre en colère, selon le tempérament de chacun d’entre nous : nos chefs, des petits qui se font les zélés exécutants et publicistes de la ligne néo-libérale qui dans notre pays prévaut depuis près de quarante ans, au premier d’entre eux, celui logeant à l’Élysée, tous supplétifs et thuriféraires du capital financier et de l’économie distributive, ils ont beau tourné leur langue de bois sept fois dans leur bouche, ces communicants, ils ne parviennent plus désormais qu’à proférer d’énormes billevesées, de pauvres fadaises auxquelles il est d’autant plus difficile de prêter une oreille qu’ils usent d’une langue à la fois exténuée et estropiée, à force de jouer aux bonimenteurs, de nous mentir et de nous gruger, de nous démoraliser en essayant de nous faire prendre des vessies pour des lanternes.


Voyez, chères auditrices, chers auditeurs, je ne suis pas un perdreau de l’année, je ne suis pas dupe du caractère convenu, voire phatique, de ces échanges.


Toutefois, à la différence de certains qui, sur les réseaux sociaux prennent la pose avantageuse du rebelle d’opérette, dans une course dérisoire et narcissique à la visibilité et aux « like », c’est bien volontiers que je me prête au rite, exprimant largement mes souhaits en direction de mes amis camarades connaissances étudiants et collègues, et répondant chaleureusement aux leurs. Et ce, pour deux raisons : d’une part, un lien social fort suppose des rituels ; d’autre part, je préfère des saluts mutuels et des mots aimables partagés à l’indifférence ou à la suffisance ou à la mine renfrognée que beaucoup de nos contemporains arborent sous l’emprise de l’individualisme auquel assujettit la société des écrans, désormais la société (sans trop) de contact.


Cela ayant été posé, permettez-moi donc de vous souhaiter la bonana, comme on dit à Brazzaville dont je conserve le souvenir ému des quatre années que j’y ai passées. Puisse, n’est-ce pas, que 2022 vous soit, pardon, nous soit un peu moins démoralisante et sinistre que 2021 et que des lueurs d’espoir viennent dans les prochains mois réchauffer nos carcasses et nos cœurs – attention, pas l’espoir dont Macron a tartiné son allocution du 31 décembre, mais l’espoir célébré par André Malraux dans son roman et son film, et dont Léo Ferré disait qu’il était dans le ventre des Espagnoles, avec des armes qui attendent, ce qui me conduit à préciser que je serais le plus heureux des camarades si 2022 incitait la gauche, et en premier lieu la nôtre, l’extrême, à cultiver la critique des armes et l’arme de la critique, plutôt qu’à poursuivre dans le déni et l’aveuglement, comme elle s’y complaît depuis des lunes, croyant déjouer le sort en opposant d’impuissantes incantations en faveur du grand soir électoral, de la grève générale, de l’insurrection, du communalisme ou de l’« archipélisation » des colères et des expériences, en les opposant, ces incantations, à la dure réalité de la lutte des classes et d’un rapport de force défavorable depuis le funeste tournant de la rigueur de mars 1983 et la chute du mur de Berlin en 1989.


À ces vœux, est-ce que j’y crois ? Est-ce que j’y crois vraiment ? Ou est-ce qu’à mon tour je cède devant ce micro à la méthode Coué ?


Pour être franc, quand j’ai en tête la crise et les remous que connaît le collectif Bordeaux en luttes, crise et remous sur lesquels je préfère me taire afin de ne pas contribuer à leur aggravation, je me dis que, pour 2022, mon vœu premier, c’est et ce sera que j’aie tort, entièrement, totalement tort, et que chacun ricane à mes dépens en me faisant observer que n’est pas Cassandre qui veut…


Cassandre, chez Homère, voilà la figure que je préfère avec celle d’Achille. Celles et ceux qui m’écoutent, ici, depuis septembre, ou qui me lisent, a fortiori s’ils me fréquentent, ceux-là ne seront pas surpris qu’en ce début janvier je songe à Achille et à Cassandre quand il est question de la gauche, en ses composantes extrêmes comme en ses organisations plus sages et modérées, à l’approche des présidentielles d’avril et de ce qui pourrait être une défaite, non, pas une défaite, mais une déroute historique.


Par conséquent, je ne vous étonnerai pas outre mesure, en vous recommandant, depuis mon Grand Arrière, depuis mon Port-Royal-du-communisme, lequel est résolument noir jaune rouge vert, de lire et de relire, crayon en main, Bakounine Marx Lénine Trotsky Gramsci Mao, tous ces camarades vitamines, et cent autres, du monde d’avant et de celui d’aujourd’hui, de les étudier et de les discuter, d’en parler dans et en dehors vos organisations, et même avec celles et ceux qui sont nullement encartés, ni politiquement ni syndicalement, en articulant le souci d’écouter à la volonté d’entendre, et ce, en vue d’abandonner enfin le catéchisme des uns et des autres, et de forger, ensemble, sur fond d’analyse concrète et d’enquête les analyses et les thèses dont nous avons besoin pour sortir de l’attitude défensive à laquelle les politiques néo-libérales ont acculé le mouvement social et populaire. Et qu’on ne vienne surtout pas me railler en me reprochant de sombrer dans l’intellectualisme et le théoricisme : vouloir une boussole pour orienter la riposte ; conquérir « casemate » après « casemate », tranchée après tranchée, l’hégémonie sans laquelle rien n’est possible ; surmonter les contradictions au sein du peuple, sans occulter que la principale oppose le capital au travail ; et, demain, reprendre l’offensive… Ce désir de lucidité et de boussole, c’est-à-dire d’instruments politiques et théoriques efficients, pas plus aujourd’hui qu’hier, n’est synonyme d’attentisme de pusillanimité de tiédeur. Inutile en l’espèce d’égrener la longue liste des révolutionnaires qui, tout en combattant, ont pensé lu écrit. Guevara pour ne citer que lui avait des livres dans son sac quand il a été capturé. Fréquenter la bibliothèque, avoir l’exigence de l’élaboration théorique et politique, fuir le spectacle et refuser les facilités de l’émotion de l’indignation et du moralisme, n’empêche pas de descendre dans la rue, quand l’heure l’exige. C’est une affaire de position. Pas de posture. Je n’insiste pas : vous m’avez parfaitement saisi. Et comme, si je ne vous ai pas convaincu, je vous ai ébranlé, dépêchez-vous d’acheter au kiosque le plus proche de chez vous le numéro 814 du Monde Diplomatique dans lequel vous trouverez un remarquable dossier : « Pourquoi la gauche perd ». Allez, camarades, dessillez-vous les yeux, et bonne année, bonana !, dans toutes les langues des exploités et des peuples opprimés !





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