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Photo du rédacteurjmdevesa

« Il faut que tout change pour que rien ne change »


L’émotion et l’indignation n’ont jamais fait une politique, pas plus que le fébrile rappel du passé, de ses (rares) victoires, de ses (bien plus nombreuses) épopées et de ses (terribles et multiples) tragédies. Une stratégie, se voulant à terme efficiente, exige à la fois une connaissance précise de l’Histoire et la plus juste appréhension possible de la société que l’on aspire à réformer, a fortiori à révolutionner. Autrement, on se contente de slogans qu’on a plaisir à scander dans les manifestations mais qui, ressassés des décennies durant, résonnent comme de pathétiques et dérisoires incantations. Ce travail d’enquête, d’analyse et d’investigation, la gauche et l’extrême gauche s’en sont dispensées depuis un demi-siècle.

 

La défaite de Mai-Juin 1968 (« un devenir révolutionnaire sans avenir de révolution ») n’a jamais été prise en compte : ni politiquement (l’élection en juin 1968 d’une Assemblée nationale « introuvable » ?) ni symboliquement (les assassinats de Pierre Overney, de Henri Curiel et de Pierre Goldmann). Depuis, le rapport des forces réel (pas celui rêvé dans les meetings) n’a cessé de se dégrader au détriment des espérances ouvrières, populaires et progressistes. De ce point de vue, le « tournant » dit « de la rigueur » en 1983 sous la présidence de François Mitterrand, la cohabitation Jacques Chirac/Lionel Jospin et le mandat de François Hollande n’ont pas été de nature à inverser la tendance.

 

Or on ne gagne une bataille (qu’elle relève ou non du processus électoral) que lorsqu’on a conquis l’hégémonie, celle-ci résultant d’une patiente « bataille de positions » (lisons, relisons Antonio Gramsci !). Il est vain de se raconter des sornettes, à moins de se complaire dans la cécité et le déni : depuis belle lurette, en France, l’hégémonie est exercée par la droite et par l’extrême droite en tant qu’expressions des diverses fractions du Capital, avec comme supplétifs une social-démocratie (laquelle ne se réduit pas au P.S.) qui leur a servi de marchepied et une extrême gauche (parlementaire ou extra-parlementaire) qui, dans toutes ses composantes, se berce d’illusions et de candeurs, et surtout confond le sociétal avec la contradiction principale, l’antagonisme opposant les producteurs à celles et ceux qui extorquent la plus-value et jouissent du profit généré par les secteurs (en expansion) de l’économie distributive. Une gauche et une extrême gauche à environ 30 % (27,99 % pour le Nouveau Front Populaire et une extrême gauche créditée de 1,15 % le 30 juin, selon les chiffres du Ministère de l’Intérieur) atteste de la véracité de ce désolant constat, celui d’un pays hélas majoritairement à droite et à l’extrême droite.

 

Depuis des décennies, les appels à « faire barrage » au F.N. puis au R.N. et à ses alliés ont été présentés comme une nécessité salutaire, le choix du « moindre mal » (Jacques Chirac contre Jean-Marie Le Pen, Emmanuel Macron contre Marine Le Pen).

 

En 2017, la « Une » de Libération affichant un « Faites ce que vous voulez mais votez Macron » était emblématique de cette reddition aux injonctions des tenants de « l’arc républicain ».

 

Depuis le 9 juin, et entre les deux tours des législatives anticipées provoquées par la dissolution de l’Assemblé nationale, ces prescriptions ont conduit une nouvelle fois la gauche et l’extrême gauche à s’aliéner toute autonomie politique afin de « sauver » la « République » et la « démocratie ». Le retrait des candidats du Nouveau Front Populaire arrivés en 3e position a été annoncé par un Jean-Luc Mélenchon qui, en 2022, en appelant à ne pas donner « une seule voix » à Marine Le Pen, s’était abstenu d’inciter ses électeurs à se reporter sur Emmanuel Macron (« Je comprends que quand on a été éborgné par monsieur Macron on n’ait pas envie de voter pour lui » […] « 21 lois contre les libertés dans ce pays sous le mandat de monsieur Macron, 11 sur des questions sanitaires et 10 sur le reste. Je comprends après toutes les brutalités sociales auxquelles il s’est livré que les gens n’aient pas envie. »). Le désistement de ce dimanche a permis en autres la réélection d’Élisabeth Borne et de Gérald Darmanin, et à Renaissance et à Ensemble d’obtenir un nombre de députés qu’aucun sondeur ne leur promettait !

 

La droite (toutes tendances confondues) qui, ni avec Chirac ni avec Macron, n’a jamais tenu compte pour gouverner d’une quelconque « dette » envers l’électorat de gauche, se souviendra-t-elle de qui lui a évité la déroute ? Je peine à le croire d’autant que les résultats du scrutin du 7 juillet nous font entrer dans une période de grandes manœuvres politiciennes : il est vraisemblable que, même isolé et désavoué par le corps électoral, Macron ne renoncera pas à peser sur le cours de la vie politique du pays ; dans son camp, que ce soit au sein de la formation politique qu’il a inspirée ou auprès de ses alliés, les prétendants « à la suite » (en 2027 ou avant cette date) se pressent au portillon ; entre les deux tours des législatives, à droite et à gauche, et dans les médias, il y en a eu plusieurs pour redonner vie au leurre du « camp républicain », du « gouvernement provisoire », de l’« Assemblée plurielle », de la « grande coalition », du gouvernement « technique » ; et à gauche, on entend des personnalités et des responsables plaider pour une pratique de gouvernement « sur projet » analogue à celle en vigueur au Parlement européen…  

 

Hier, les militants et les électeurs du Nouveau Front Populaire se sont réjouis de l’échec du R.N. et d’être arrivés en tête des trois « blocs ». C’est bien compréhensible. Toutefois maintenant il vaudrait mieux ne pas en rester là.

 

Sinon…

 

Donc, pendant combien de temps s’exemptera-t-on d’analyser les causes de cette désolante situation (le RN et ses alliés à 33,15 %, lors du scrutin du 30 juin, avec une participation record) ? Non, pardon, des analyses ont été produites (il suffit de se reporter au Monde Diplomatique de juillet pour s’en convaincre) mais les états-majors de gauche et d’extrême gauche les ignorent afin de réciter leurs catéchismes.

 

Pendant combien de temps se gargarisera-t-on d’une rhétorique compensatrice empruntant au combat de la Résistance et/ou de la guerre d’Espagne, plutôt que d’envisager la part de la gauche et de l’extrême gauche dans le recul et l’érosion de leur influence, et dans la marginalisation de certaines formations ayant longtemps incarné une fraction conséquente du mouvement ouvrier (la perte au 1er tour par Fabien Roussel d’une circonscription communiste depuis 1962 est emblématique de cette érosion) ?

 

Pourquoi faudrait-il, cycliquement, se vouer à l’impuissance en ne se battant plus pour ses objectifs propres et en se mettant à la remorque idéologique des formations bourgeoises s’auto-proclamant « républicaines », « libérales » et « humanistes » ?

 

Pendant combien de temps encore acceptera-t-on de dédouaner l’ensemble du camp conservateur de son déport vers l’autoritarisme, l’attachement de « l’extrême centre » aux principes démocratiques (un « extrême centre » qui n’hésite guère à faire tirer au LBD 40 et à sortir les blindés de la gendarmerie dans les rues, à Paris comme en Nouvelle-Calédonie) ayant autant de crédibilité que le « monde » dit « libre » (l’ « Occident », les « démocraties occidentales ») quand celui-ci prétend s’ériger en modèle face aux (dictatures des) autres continents (on fait la leçon à Poutine en raison de l’agression russe de l’Ukraine et on continue de livrer les bombes à Tsahal pour écraser Gaza…, ce qui a du mal à être accepté par les ¾ de la planète).

 

Un très sévère examen critique de ce type, je doute que la gauche et l’extrême gauche, en l’état, en soient capables car il leur faudrait consentir à une « longue marche » à laquelle elles répugnent : loin du spectacle, de la communication et de l’agencement informatique du politique ; dans l’articulation opiniâtre de la pensée et de l’action ; dans la combinaison de la voie parlementaire et des combats au quotidien ; avec la volonté de cultiver ce qui, dans le tissu social, échappe à la réification et au devenir-marchand afin que ces utopies concrètes contribuent d’ores et déjà à « changer la vie, transformer le monde ». Sans cette mise à plat entière et pleine de « ce qui ne peut plus durer » à gauche et à l’extrême gauche, la crise politique s’approfondira et la décomposition qui en découle aussi, et l’Histoire se répètera : en farce ou en tragédie, ainsi que le soulignait Karl Marx dans Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte.




Ernest Pignon-Ernest, sérigraphie.


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1 Comment


Philippe Couillaud
Philippe Couillaud
Jul 08

Un admirable rappel de ce qui fut et, hélas, une amère prémonition de ce qui sera...

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