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L’Abécédaire des plaisirs (L-P)


L.


Langue (la).

Parce que les lèvres et la bouche. Et qu’il est bon que cela commence et finisse par des baisers, plusieurs évidemment.


Larme (avec l’article indéfini pluriel, par conséquent « des »).

J’en ai pas mal versé. Et je suis responsable de celles dans lesquelles plusieurs femmes ont noyé leurs peines. De toutes ces larmes, il aurait été préférable de faire l’économie. Cependant il en est d’autres indissociables des soupirs, des gémissements et des plaintes qui ponctuent le plaisir associant Eros à Thanatos. Quitte à effrayer, je confesse qu’il m’est doux de pousser l’autre jusqu’aux larmes dans son abandon au jouir.


Liberté (la).

Dans la cité mais aussi dans l’amour et la poésie.


Lien (au pluriel, « les », et en les rapportant au coeur).

Les liens du cœur les plus solides sont ceux qui laissent l’autre libre.


Lingerie (pourvu qu’elle soit fine).

Pour les femmes, dans notre société, c’est l’uniforme du plaisir ou son équivalent.


Lit (surtout s’il est king size).

C’est aux États-Unis que j’ai eu loisir de me vautrer dans les plus suaves. Par exemple, en 2002, à Las Vegas, dans une chambre de l’Aladdin Hotel-Casino. Fort heureusement je n’y ai pas imité Elvis.


Lucioles (les, et plus particulièrement celles d’une nuit, en Centrafrique).

Dans la forêt primaire, entre Mbaïki et l’Oubangui, où nous sommes littéralement immergés dans une pénombre striée de milliers de points, d’un vert émeraude, lesquels clignotent au-dessus de nous, ou à notre hauteur. Nous progressons en quête d’un village ou d’une case pour y solliciter l’hospitalité. Nous avons abandonné derrière nous ma 504 Peugeot. Elle ne peut plus rouler. Si demain nous rejoignons l’Institut Rural que dirige W., nous aurons les moyens automobiles et techniques de revenir la chercher avant qu’elle soit cannibalisée par la brousse et ceux qui la sillonnent. Je bougonne car j’ai malheureusement heurté une roche dissimulée dans l’eau boueuse d’une portion inondée de la piste que j’ai franchi comme un mariole, à trop vive allure. Sous la violence du choc, et malgré la plaque de protection du moteur, le radiateur a été déchiré sur une dizaine de centimètres. La traversée de ces ténèbres auréolées par les lucioles me tempère et m’apaise.


M.


Machine (si elle est désirante).

Ignorer tout ce qui de près ou de loin peut ressembler à une machine célibataire.


Madrid (une capitale d’élection).

Mon père était originaire d’un village pauvre du Pays Valançais. Valence et Alicante ne m’ont jamais séduit. J’aime Barcelone mais intellectuellement car je m’y suis un peu trop perdu, et que c’est dans celle de Mandiargues et de Genet que je voudrais déambuler or elle a disparu. Tolède m’éblouit toujours, El Greco y a vécu, ses ruelles ont rougi du sang des combattants de 1936. Mais c’est à Madrid que je communie le plus avec la part ibérique de ma culture. Avec du tinto, au comptoir de la Casa Patas, en attendant le début du spectacle.


Mangue (une).

Les meilleures sont greffées. Toutefois, j’ai souvent eu du plaisir avec des sauvages dont je conservais de la pulpe et des fibres entre mes vilaines dents.


Môme (pas n’importe laquelle, la mienne).

Jean Ferrat l’a chantée bien sûr et c’est Jean-Luc Godard qui lui a donné le visage d’Anna Karina. J’ai applaudi quand je l’ai entendue, la môme de Ferrat, et lorsque je l’ai vue, celle de Godard. Il y en avait néanmoins une autre, bien plus épatante, la Jolie Môme du vieux Léo. Dans mon film imaginaire, la mienne de môme a les traits confondus d’Anna Karina, de Jean Seberg et de la camarade qui en ces années faisait battre la chamade à mon palpitant.


Mer (quand c’est la Méditerranée).

Pas celle de la nostalgie ni de l’amertume. Encore moins celle de l’aveuglement. Celle de Camus à Tipasa, sous le soleil, dans l’éclatante beauté de la nature, au milieu des ruines qui surgissent des profondeurs de l’eau, ou s’y enfoncent. Avec en sus le souvenir d’une nuit en 1980 à Matarès, dans l’hôtel construit par Fernand Pouillon, en bordure de plage : j’ai à peine vingt-quatre ans.


Mort (le même substantif précédé de l’article défini singulier « la »).

Savoir qu’elle est le principe de toute chose n’a pas pour corollaire de s’y résoudre, c’est juste lui reconnaître ce à quoi sert son couperet, en l’occurrence nous faire aimer passionnément la vie. C’est la leçon que je tire du flamenco et de la bravoure du toréador.


N.


Noir (la couleur).

Je l’associe à l’économie de moyens. Dans le procès de création, le refus de l’exubérance est selon moi une qualité. Dans une vie antérieure, j’aurais porté allègrement à l’Escorial le sobre habit des courtisans des Grands d’Espagne et à Port-Royal celui des Solitaires.


Non (adverbe et substantif).

L’un des plus beaux mots, celui par lequel tout a commencé, sur la terre comme au ciel, c’est ce que je soutiens, parce qu’à mon sens il n’est pas un antonyme comme un autre, un « non » n’est pas uniquement le contraire d’un « oui », sa réplique inversée, il est le principe de l’existant, c’est-à-dire du néant d’où nous avons été extraits et qui nous attend, le « oui » n’étant qu’une parenthèse. Et c’est parce qu’elle m’a dit quelquefois « non » que nous sommes toujours ensemble.


Non (quand un homme aborde une femme).

Si elle dit non, c’est non. Point trait. C’est NON.


Nouer (action de faire un nœud, d’en poser).

Pour lier l’autre à soi, le plus efficace est de lui lâcher la bride. De manière analogique, chez certains sujets, les entraver exacerbe leur abandon.


O.


O (le personnage).

Pour son histoire et celle de Pauline Reage. Parce qu’il y a eu aussi une O bleue, dans les années quatre-vingt dix, entre Brazzaville et Bordeaux.


Objet (avec le partitif « du »).

Il n’a rien de définitivement scandaleux, selon moi, quand il a partie liée avec le désir. Pour ce qui me concerne, les femmes ont été toujours l’objet principal du mien.


Océan (l’Atlantique).

Le long de la côte aquitaine, entre Soulac et Biscarosse. Et aussi au Portugal, dans les environs du Cap de Saint-Vincent, près de Sagres.


Olisbos (un).

Parmi ces auxiliaires du plaisir, dont l’usage est très ancien et concerne probablement tous les continents, il en est d’une poétique beauté. Les plus remarquables ignorent le naturalisme grossier et le profilage technique de la plupart des sex-toys vendus dans nos magasins spécialisés.


P.


Papaye (une).

De préférence avec du citron, le matin, au petit-déjeuner.


Parole (la).

Dans bien des cas, mieux vaut la parole que le discours, mais pas toujours. Quoi qu’il en soit, dans la sphère publique, pas de limite à la liberté de parole, en aucune circonstance.


Pêche (une).

Quasiment le fruit de la connaissance lorsqu’elle est mûre et sucrée.


Péché (un).

Le plaisir de le commettre, celui de l’avouer, et d’abord celui de le confesser. Pour ce faire, un prie-dieu, meuble d’une extase possible.


Pied (quand il est féminin).

Il faut qu’il soit parfaitement chaussé, c’est-à-dire au gré de ma fantaisie.


Plaisir (toujours au pluriel « les »).

Notre carburant psychique, parce que nous sommes des pervers polymorphes.


Poésie (la).

Inséparable de la liberté et de l’amour.


Poivre (le).

De préférence noir et en grain.


Privation de parole (la).

Entre 1983 et 1986, il a habité un appartement aux jalousies intérieures et extérieures en bois rouge, au 2e étage d’un immeuble de la cité SICA, à Bangui, celui qui était le plus éloigné de la route goudronnée, tout près d’une zone de matiti et de gravas faisant tampon entre un « quartier » et les abords du centre administratif et « blanc » de la ville. C’est là qu’il a commencé à obtenir de ses partenaires la satisfaction de ce désir particulier. Il ne le demandait pas à toutes. Seulement à celles avec lesquelles il était suffisamment à l’aise pour leur confier un peu de ses chimères, ou dont il était étrangement troublé. Avec elles, d’abord il faisait l’amour sous la moustiquaire qui recouvrait le lit en bambou. Ensuite, à l’approche de l’assoupissement, s’il les sentait tout particulièrement abandonnées, il se risquait à les solliciter. Cela pouvait survenir de jour, lors d’une « sieste crapuleuse », après un déjeuner arrosé un peu plus que d’ordinaire, quand la moiteur subtropicale réduit à néant toute velléité d’activité « sérieuse », c’est-à-dire relative à l’économie du monde et au travail... Ou bien au milieu de la nuit… Ou un peu avant l’aube, juste après la fermeture du Blow Up ou du Sangho Night, dans le bruissement du grand flamboyant dont plusieurs branches jouxtaient presque le balcon en ciment de sa chambre. Ces femmes dont il avait joui, des Françaises ou des putains centrafricaines, pas toujours des plus jeunes que lui, de celles qui comprenaient où il voulait en venir, ou de ces autres qui s’appliquaient seulement à lui faire plaisir, il les priait de prendre en bouche son sexe, sans le sucer ni le lécher, de l’y conserver au plus profond, sans bouger jusqu’à l’endormissement… Même après avoir quitté Bangui, et pendant une bonne dizaine d’années, il a pratiqué ainsi. Puis il y a renoncé. Il serait bien en peine de dire pourquoi. Il ne saurait pas préciser la date où il s’en est détourné ni comment il l’a effacée de sa conscience.


Et un été il a lu un livre.


Un peu plus tard, profitant d’une soirée où sa compagne dînait avec des amis, il s’est replongé dans ce récit qui l’avait laissé sans voix. C’est alors qu’a jailli ce souvenir, avec des visages et quelques noms, pas tous, évidemment.


Il lui relate les circonstances de cette soudaine remémoration. Il ne rentre pas dans les détails, et surtout il évite d’indiquer avec qui il l’a fait. Il ne peut toutefois s’empêcher de lui poser cette question :


-Excusez-moi, excusez-moi vraiment, pour cette « absence » totale, mais, de vous, l’ai-je aussi exigé ?


Elle s’attendait à ce qu’il l’interroge.


-Oui, bien sûr, dans les premiers temps de notre relation. C’est flou dans mon esprit… Probablement une dizaine de fois. À moins que je fabule, une nuit, je crois m’être endormie, pas très longtemps, une demi-heure environ, ainsi que vous le souhaitiez…


Ils se prennent les mains et se sourient : il leur est inutile de discourir à propos de la volonté de puissance des hommes et de leur désir de remplir les femmes au point de les priver de parole.





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