top of page
Rechercher
Photo du rédacteurjmdevesa

L'Abécédaire des plaisirs (Q-Z)


Q.


Quille (avec l’article indéfini « une »).

Objet plastique par excellence, à tendance métaphysique et surréaliste.


Qui-vive (dans l’expression être sur le « qui-vive »).

En amour et dans la sexualité, il est recommandé d’être sur le qui-vive, j’entends par là dans l’écoute attentive et soutenue de l’autre. L’excès de confiance en soi se révèle souvent une plaie, il alimente l’arrogance ou l’aveuglement, c’est selon, et parfois il induit ces deux travers en les articulant l’un à l’autre.


R.


Rapport (sexuel).

Jacques Lacan soutient qu’il n’y en a pas, qu’il ne peut pas y en avoir. Il a vraisemblablement raison. Maintenant, on peut oublier la théorie et les observations cliniques, et s’ingénier, s’évertuer, s’épuiser à ruiner sa thèse lacanienne...


Reprise (avec l’article défini « la »).

Celle d’avril 2009, un livre la compte par le menu, avec en arrière-plan de bouleversants tableaux de Francis Bacon.


Rêve (si possible, ne pas se limiter à un seul).

Je dors assez peu mais d’ordinaire d’un sommeil de plomb. Aussi, lorsque je me souviens d’un rêve, est-il explicite, correspondant à mes préoccupations diurnes et à mes désirs conscients. J’ai toujours compensé la relative pauvreté onirique de mes nuits par d’intenses rêveries.


Rose (la fleur).

En bouquet. Sept, neuf, onze ou treize roses carmin comme gage d’amour.


Rose (l’adjectif).

Parce qu’à Barcelone, entre 2003 et 2005, il y a eu La Vie en rose. Et qu’en Afrique, la plante des pieds des femmes et leurs fleurs dont l’intérieur m’a toujours considérablement troublé.


Rosé (lorsque c’est du vin et qu’il est glacé).

C’est le vin des étés et des bords de mer, du poisson grillé et des moules mangées crues, le seul qui gagne à être rehaussé d’un glaçon.


Route (longue et rectiligne).

J’aime conduire. Sur de longs trajets. Dans de vastes étendues. Ce n’est pas une corvée mais un plaisir. Surtout si en roulant j’écoute du rock, du blues ou de la country. En Algérie, à partir de Touggourt et en direction de Ghardaïa, puis d’El Golea, de Timimoun, d’In Salah, ou du grand erg occidental, et dans une moindre mesure au Texas, j’ai effectué des « raids » automobiles qui m’ont comblé. Et en Europe, en août 2007, il y a eu en compagnie de ma chérie ce retour mémorable à Bordeaux depuis La Nucia, le village de mon père. Tout en demeurant prudent, je n’hésite pas à m’arrêter dormir une vingtaine de minutes revigorantes sur le bas-côté ou sur une aire de repos , je ramène ces journées et ces nuits passées au volant à une expérience des limites.


S.


Sardine (idéalement au pluriel et sur le grill).

Ce sont des souvenirs d’enfance, liés au cabanon de Baïnem et aux tablées familiales, et aussi de mes trois premières années d’enseignement. Je prête aux sardines de la Pêcherie d’Alger et à celles des braseros de Nazaré au Portugal une saveur que je n’ai jamais plus retrouvée, dans aucun autre port, où que ce soit. Est-ce la raison secrète pour laquelle, dans l’ordre du plaisir gastronomique, je me suis rabattu sur les harengs de la Baltique ?


Sexe (avec « avoir » ou « faire », c’est selon).

J’adore la précision de l’anglais : son to have sex est bien plus juste que notre faire l’amour, coucher ne conduisant pas à tisser obligatoirement des liens. Si la « révolution » sexuelle des années soixante l’a légitimé, il n’est pas oiseux à cette heure de réaffirmer que la pratique du sexe pour le sexe est bonne en soi, pour tous les individus, et qu’un « calin » ne condamne pas aux fiançailles, ni au mariage, pas même au pacs. Les nuits n’ont pas toujours de lendemains… Allez, vivement que Voulez-vous coucher avec moi (ce soir) ? soit au programme de l’agrégation…


Silence (avec l’article défini « le »).

Parce que le silence est d’or et que je l’aime, ce silence qui disparaît de plus en plus sous les bruits parasites de la société de l’information et la confusion entre les sphères de l’intime, du privé et du public.


Soie (avec l’article défini « la »).

Parce qu’elle se marie bien avec les liens. Liens & soie ou l’énoncé crypté d’un programme.


Stein (Gertrud).

Parce que Rose is a rose is a rose is a rose is a rose. Et que donc la littérature ! Et son questionnement, celle des formes et de son rapport au contemporain.


Surprise (d’abord la, mais très vite les, si on est chanceux ou chanceuse).

La vie m’a réservé une sacrée surprise. Elle est toujours là. Et celles dont elle me gratifie sont des plus agréables. Je suis bigrement chanceux. Elle donc, comme une surprise, la seule, l’unique.


T.


Texas (le, parce que The Lone Star State).

Ce n’est pas l’Amérique ni les États-Unis, Texans et États-Uniens s’accordent pour le dire, c’est en souvenir de la République de 1836, l’État de l’étoile solitaire. Un bout de ce territoire, du côté de McAllen, de la Rio Grande Valley et de la frontière du Mexique, a constitué mon Amérique heureuse. Malgré la solitude et le chagrin.

J’y ai trouvé ma voix, peut-être du fait de la solitude et du chagrin, je ne saurai jamais. Quoi qu’il en soit, m’est plaisant le souvenir des nuits passées dans la villa, entre la chambre dont j’avais fait mon espace de travail -, c’est là que j’y ai écrit mon premier livre roulant tressant et façonnant mes phrases -, et celle où je me couchais. Pendant ces mois, je crois bien avoir pris soin de ma personne, et donc de mon corps, comme jamais auparavant : la course quotidienne tout autour de la Community où j’habitais, l’après-midi à la piscine, la salle de musculation sur le campus plusieurs fois par semaine. J’écoutais Willie Nelson au volant du truck dont je disposais. Je songe avec nostalgie au placard qui, en face de l’ascenseur, me servait de bureau à l’université, j’adorais m’y rendre à minuit ou à deux heures du matin quand les employés latinos faisaient le ménage du Département en écoutant très fort de la musique diffusée depuis un ghetto-blaster, j’y imprimais les pages que je venais d’écrire, j’y répondais aux e-mails de mes correspondants, j’y naviguais sur le net en quête d’informations pour mes cours ou mon récit, j’y tirais aussi des plans sur la comète. Quant à ma mélancolie, elle m’avait dressé une table à la terrasse du City Breeze.

Il me semble qu’elle avait aussi le visage d’une grande fille rousse que je trouvais très belle, et qu’en fin de séjour je croisais assez fréquemment, à la cafétéria, au sport, sous les allées couvertes de la fac. Elle était la projection de mes désirs. Si je me lançais dans la rédaction d’un roman américain, elle pourrait en être l’héroïne.


Toucher (d’abord le substantif, puis le verbe).

Le toucher importe à cause du grain. Je me souviens d’un après-midi d’été, du côté de Bazas, à la lisière de quelques pins, à un jet de pierre d’une maison où notre groupe de lycéens avait trouvé refuge pour quelques jours et nuits de chansons, de partage, de mauvais repas et d’alcool. Elle avait une peau de soie. Je n’en ai pas touché d’aussi douce, de toute ma vie. Je ne me souviens plus de son nom. De son visage et de sa blondeur, oui. Je me suis comporté comme un idiot avec elle, et comme un idiot phallocrate.


Trouble (avec l’article défini « le »).

Quand il survient, c’est souvent bon signe. Et avec lui comme un imperceptible tremblement.


Truc (seulement quand il est vert).

Cette plage de la presqu’île du Cap-Ferret a été, pendant plus de trente-cinq ans, ma préférée, indépendamment des souvenirs parfois pénibles qui s’y rattachent. J’y faisais abstraction car je ne crois pas aux fantômes, attendu que c’est notre imagination, ou notre culpabilité, ou notre ressentiment qui les active, et puis l’endroit a dans le même temps servi de décor à plusieurs anecdotes cocasses, si bien que l’un dans l’autre (et sans arrière-pensée) je ne ressens aucune malédiction lorsque je m’attarde dans ce secteur du littoral. Cependant, je tends à la déserter depuis que les « textiles » y ont étendu leur empire au détriment des baigneurs habitués à y prendre le soleil et à y nager dans le plus simple appareil.


U.


Uniforme (un, des, les).

Tous les uniformes, même les militaires, car ils ne sont ici que des simulacres pour jouer. Parures, maquillages, mascarades et parades, tout est bon pour les plaisirs des sens.


V.


Vélo (il y en a eu plusieurs).

L’un d’entre eux, je l’avais acquis en 2007. Pour environ cent cinquante euros, dans un magasin de sport du Centre commercial de Mériadeck. À la fac, quand mon bureau était au troisième étage du Bâtiment A, je le montais et descendais par l’ascenseur. Après mon affectation en J, je l’ai accroché à un plot prévu à cet effet, sur le parvis, près de l’arrêt de tram. J’ai été furieux lorsqu’on me l’a dérobé. Les noms d’oiseau ont fusé, en rafales. Le matin, quand il faisait froid et sec, au printemps lorsque la végétation renaissait, pédaler sur cette machine était un bonheur.


Velours (avec l’article indéfini « un »).

Une peau de velours, de pêche ou d’abricot.


Vin (le vin, bien sûr, mais encore mieux avec le vent et la vie).

Il est bon, en ces temps de préjugés et de crispations identitaires, de célébrer Abû Nouwâs, le poète arabe du VIIIe et IXe siècles, en buvant un ou deux verres en pensant à lui, ou en en versant quelques gouttes à même le sol, ainsi que le faisait toujours Sony Labou Tansi, en Afrique ou en voyage, afin d’honorer les ancêtres et de les associer à ses libations en étanchant leur soif.


Vie (avec l’article défini « la »).

Avec un « e », jamais plus sans. La vie avec elle, ma compagne au long cours, ma belle Helvète.


W.


Wagon-lit (une cabine pour elle et moi dans le Transsibérien).

Nous voudrions traverser les États-Unis en voiture (une mustang cabriolet ferait l’affaire) en suivant la Route 66, pour l’heure nous avons été des plus heureux en nous offrant ce périple ferroviaire euro-asiatique, de manière à écrire, lire, rêver, boire de la vodka et faire fréquemment l’amour, dans des conditions confortables.


Whisky (quand il est tourbé).

Lagavulin et Springbank, et pas seulement ceux-ci.


X.


X (celui de la croix de Saint-André).

Dans la sacristie de la cathédrale Saint-André, pendant mes années de catéchisme, des tableaux représentant les supplices infligés à des martyrs ont été cause d’un trouble équivoque. La croix de Saint-André, donc, et toutes les autres. Mon intérêt pour l’iconographie et la peinture d’inspiration catholique ne s’est jamais démenti.


Xérès (vin de).

Je n’en bois qu’en Espagne. À Bordeaux, je n’en trouve pas de l’excellent, pas même du bon, y compris dans les derniers bars et restaurants espagnols de la ville.


Y.

Yeux (avec l’article défini pluriel « les » et un bandeau de velours noir ou pourpre).

Exactement comme lors de ses trente ans, avec en prime sa joie et son émerveillement lorsqu’elle a découvert le lieu où je l’avais conduite et que tous les invités l’ont applaudie. J’ai très peu de temps pour me surpasser, à l’occasion de ses quarante ans.

Ysaïe (Eugène).

Pour sa sonate pour violon n° 5, et d’abord pour son premier mouvement, « L’Aurore ».


Z.


Zeste (un).

Un zeste de citron dans mon verre de Jack Daniel’s et pas de glaçon.


Zébrure (diverses et durables).

Consenties, puisque c’est un jeu et qu’il y a un contrat.


Zig-Zag (parce que c’est un bar et qu’Augustin en est le patron).

C’est un territoire de liberté et d’amitié, celui du café-concert, des expérimentations artistiques, de la poésie et des lectures.



Photographie de Borsos Misi. Devant une (magnifique) toile de Csaki Robert.

132 vues0 commentaire

Posts récents

Voir tout

Comments


bottom of page