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Photo du rédacteurjmdevesa

La Jeunesse du monde

Dernière mise à jour : 13 nov. 2021


Chronique du Grand Arrière (3). Paris, 5 novembre, nous sommes quatre invités, trois écrivaines et moi, disposant chacun de quinze minutes pour répondre aux questions d’Antoine Spire et de Patrick Tudoret, lors de l’enregistrement de l’émission Tambour Battant laquelle a pour thème « Enthousiasme de jeunesse, nostalgie d’adultes ». Claire Etcherelli a été la dernière à rejoindre le studio. Je me suis levé pour la saluer. On l’a installée à ma gauche. Depuis la régie, on lance le décompte, trois deux un, nous allons être principalement interrogés sur nos parcours individuels et notre rapport au temps, à n’en pas douter je me suis égaré, dans mon esprit notre conversation allait rouler sur les engagements et les batailles du passé, la Seconde Guerre mondiale et l’ignoble solution finale, les guerres coloniales et notamment celle d’Algérie, 1968 et l’espoir suscité par l’insurrection étudiante de mai et la plus grande grève ouvrière depuis le Front Populaire et le mouvement d’occupation des usines. C’est dans cette direction que je me suis préparé avec le souci de répondre aux interpellations voire aux aimables moqueries que pourraient provoquer certaines séquences de ma Garonne in absentia consacrées à l’Albanie ma trajectoire et mes positions idéologiques.


Je fais la moue, intérieurement, un changement de cap s’impose, gare à ce que mes interlocuteurs et bientôt nos auditeurs ne m’assimilent pas à un enragé nostalgique de la terreur révolutionnaire et des services de sécurité. Déjà que mon accoutrement me singularise, tout en noir, veste chemise et gilet, seule tranche la cravate, une touche cramoisie, et une petite broche ronde agrafée au revers qui avec son « dans grèves il y a rêves » décoiffe passablement, inutile de contrefaire l’innocent, l’effet était recherché, j’espérais ne pas passer inaperçu, c’est réussi, toutefois il sera sage d’en rester là, à l’allure, j’aurais tort de poser au bravache, mes arguments et ma rhétorique ne seraient pas reçus, au contraire ils me disqualifieraient, or mon roman est en quête de lecteurs, je serais stupide de me montrer intransigeant, je saborderais la réception de mon livre. Survient mon tour, les animateurs s’adressent à moi, ce qui les intéresse c’est le fleuve et le travail des formes, je n’essaie pas de déborder du cadre, j’évite un vocabulaire trop daté, le fond de l’air n’est plus rouge, et pas qu’au cinéma, cependant il ne m’échappe pas qu’à deux ou trois reprises Claire Etcherelli se retourne, et j’ai l’impression que son sourire est en résonance avec les souvenirs et les linéaments d’analyse que je suis en train d’esquisser. Troisième à être sur la sellette, elle peint son enfance à Bordeaux, au cœur du quartier Saint-Michel, pesant ses phrases, bien sûr, et aussi comme si elle avait à forcer la langue pour circonscrire les mots dont elle a besoin et les lui arracher. Je l’écoute avec attention, observant ses mains, sa joue droite, celle qui s’offre immédiatement à mon regard, et sa peau diaphane, l’image d’une autre femme surgit en ma mémoire, néanmoins je ne bronche pas.


Et puis, après le quart d’heure de l’ultime intervenante, nous marquons une courte pause permettant à l’équipe technique de vérifier micros et projecteurs. Lors de la discussion finale entre nous tous, Antoine Spire s’inquiète auprès de Claire Etcherelli si elle n’a pas souffert d’être systématiquement associée à Élise ou la vie. Elle acquiesce. Il lui a été en effet pénible d’être réduite à la représentation que l’on se forgeait d’elle à partir de la seule lecture de cet ouvrage. Je crois alors le moment opportun pour une confidence. Précautionneusement, en veillant à ne pas la heurter, je lui avoue que depuis son arrivée dans la pièce je n’ai pas pu m’empêcher de me rappeler Hélène Rytmann, en septembre 1980, dans l’appartement de l’École Normale Supérieure, au lendemain de la Fête de L'Humanité, juste avant mon départ pour l’Algérie… Je me tais, bref mais profond silence, personne ne cherche à en savoir davantage, je préfère me perdre dans les yeux immensément bleus de Claire Etcherelli.


Plus tard, dans l’après-midi, réfléchissant à l’élan qui m’avait contraint, devant les caméras de Demain TV, à confondre Etcherelli et Rytmann dans une même geste, sans trop me préoccuper d’ailleurs de la pertinence du lien établi entre elles, j’en ai conclu qu’une décennie durant, mes camarades et moi, nous avions eu raison d’envisager le communisme comme la jeunesse du monde, parce qu’à la différence de celui de caserne qui a partout prévalu sur la planète, d’abord en Europe centrale et de l’est, ensuite jusqu’en Chine et à Cuba, notre communisme s’était alimenté à cette inépuisable réserve d’amour qui sourd en chacun d’entre nous et nous aide à affronter la finitude, à condition d’admettre que nous ne devenons humains que dans la relation aux autres. C’est en vertu de cette certitude que je n’ai toujours pas l’âge de mes artères.


Et pour la voix au micro de "La Clé des ondes" et des images relatives à Claire Etcherelli et aux évocations du présent billet, suivre ce lien :






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1 Comment


patrick1910bergerac
patrick1910bergerac
Nov 11, 2021

Si l'amour est communiste, je veux bien être communiste.

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