Un peu plus de deux feuillets (premier jet) du roman en chantier.
A Brazzaville, on l’aura regardé et traité en idiot utile, voilà ce à quoi il en est venu à penser, récemment, en réfléchissant à la composition de ce livre, pour lequel d’emblée il lui a semblé indispensable de tresser un lien analogique entre le Médoc qu’il parcourait pour stimuler son imagination et rassembler de la documentation, et l’Afrique où il est né et où il a passé dix ans, sa décennie de jeune adulte, peut-être d’ailleurs a-t-il toute sa vie discouru, intérieurement et en public, pour rationaliser son errance au milieu du monde et des autres, cherchant moins à tromper ses interlocuteurs qu’à se persuader d’abord, lui, de ne pas faire fausse route, ni de s’égarer, ni surtout de renoncer à l’espoir et au romantisme de ses années d’apprentissage, malheureux d’avoir loupé de multiples fois le coche, parce que gauche, il l’a été extrêmement, dans tous ses engagements, les politiques et les sentimentaux, mais qui va-t-il intéresser en relatant les mille et une façons dont il s’est fourvoyé, avec la cause ouvrière et populaire comme en amour, à l’époque où il croyait possible de les associer, et après quelques déboires des deux côtés, lorsqu’il a professé que la lutte des classes s’arrêtait au seuil de la chambre à coucher, parce qu’enfin à plusieurs moments de son itinéraire personnel il a changé de cap, il voulait avancer tout droit et il était contraint à la godille, il s’en est toujours arrangé en récitant deux-trois poncifs quant à la navigation et la voile, d’abord pour se convaincre, lui, de quoi, qu’il n’était pas une girouette ni un opportuniste, qu’il y avait une cohérence à ses choix propos et décisions, qu’à l’esprit de système il fallait préférer les principes lesquels ne variaient pas mais permettaient de tenir compte de la singularité des situations, et que les positions que l’on endossait c’était comme pour les thèses que l’on formulait elles répondaient à ce que la conjoncture commandait, bref la dialectique selon Louis, ou plutôt l’appréhension des faits selon ce qu’il avait saisi et retenu et de la dialectique et des livres de Louis et de ses conversations avec lui entre 1976 et 1980, et puis les cohérences et les logiques il était plus aisé de les discerner a posteriori, ce dont il ne s’est jamais privé, certes le raisonnement parfois flottait ou l’argumentation prenait eau : il était commode d’évacuer la dimension névrotique du militantisme, pas chez nous, pas nous, la paille et la poutre, pendant cinquante ans, et probablement ce n’est pas terminé, toutefois il arrive que, sous l’effet d’éclairs de lucidité de la lassitude engendrée par la répétition des mêmes schémas stériles de débandades amoureuses voire de lectures, comme celle des pages de Des Livres et des femmes dans lesquelles Michel Schneider analyse son parcours à l’Union des communistes de France, se fissure le bloc de certitude faisant écran à la réalité, le déni alors recule. Mais en quoi le tempo et les ressorts de ces révisions idéologiques personnelles peuvent-ils concerner des lecteurs qui ne seraient pas des proches, par l’amour, ou des pairs, par l’itinéraire ? Et comment faire matière littéraire des tâtonnements d’une vie sans tomber dans le reportage et le documentaire ? Et comme il ne se résout pas à liquider les leçons des avant-gardes artistiques ce n’est pas demain la veille qu’il forgera une narration en tranche de vie, le vérisme est un leurre et une facilité dont il refuse que sa création procède, l’art entretient du monde mais ne lui est pas transparent, il ne souhaite donc pas du tout raconter d’histoires mais les écrire ce qui pour lui signifie, comme au théâtre, des changements à vue des décors et, en l’espèce, la divulgation dans le corps même de ses livres du temps et des coulisses où il les conçoit, difficultés joies et tergiversations comprises. S’il persiste ainsi, ce bouquin a peu de chances de connaître le succès commercial… Lui n’est pas prêt à changer de poétique ni d’esthétique. Ce parti pris traduit-il une rigidité une raideur constitutive d’une structuration psychique contre laquelle il ne colère pas mais qu’il tend à déplorer au seuil de la vieillesse, parce que d’une part elle l’a doté d’une mentalité de porteur de valise en recherche d’une mère, une cause à défendre, et d’un père, un maître à penser, et que d’autre part elle lui a prodigué une solution boiteuse pour combiner ses élans avec le sort ses gaffes et divagations : faire son cinéma romancer ses remords fabuler ses rêves, et y croire. En Algérie en Centrafrique au Congo il a été servi, en réaction à ce qu’il voyait, arbitraire échange inégal racisme, les étranges et scandaleux fruits issus des rapports de l’Occident avec les autres, et à ce qu’il entreprenait pour lui, combats idylles amitiés, il a entretenu cette propension à corriger les aspérités auxquelles il se heurtait et les ratés qu’il subissait en les parlant en écrivain, c’est-à-dire en fonction non pas du détail factuel mais de la portée et de la signification qu’il estimait que revêtaient ceux-ci, propédeutique à ce qu’il découvrirait en devenant auteur, la vérité littéraire étant plus précieuse et juste qu’un procès-verbal de police ou un compte rendu de détective privé, l’objectif n’est pas de faire avaler des vessies pour des lanternes à celles et à ceux à qui on s’adresse mais d’abord d’ordonner et de décrypter pour soi-même les mille et un événements petits et grands dont on s’est dépatouillé comme on a pu, avec plus de sincérité que de perspicacité. Ce diagnostic, à Brazza, il était encore trop taurillon pour se l’appliquer, n’importe quelle muleta provoquait sa charge, inoffensive, puisque ses cornes étaient bouletées par son incapacité à considérer qu’en diplomatie dans la médiation des groupes et le marivaudage le zigzag est souvent d’un rendement supérieur à celui de la ligne droite et qu’avoir deux bouches rapporte plus qu’être franc. Cette immaturité l’a désarmé si bien que, parmi les lucioles scintillant dans ses nuits congolaises, il s’est attaché à la plus brillante laquelle était aussi la plus ambiguë, mais là n’est pas le lieu d’en discuter, et séduit par les trompettes du spectacle et de l’édition francophones, il a sous-estimé la rigueur éthique de Sylvain Bemba, lequel n’était pas homme à penser être plus roublard que le malin, et dont les œuvres s’adressaient aux siens, sans exclure le public du nord, mais certainement pas avec la volonté de conquérir ce dernier, d’en être la coqueluche, ce qui est toujours un enfantillage, en particulier lorsqu’on veut changer la donne en Afrique, Rêves portatifs un de ses romans se mesure à l’intrication du collectif et de l’individuel, du social de sa représentation et du ressenti qu’en a le sujet, tant sur l’écran noir de ses assoupissements que sur celui du cinématographe, une intelligence analogue du faisceau de déterminations qui imprègne le grain de voix de chacun a sustenté ses repérages médocains, en postulant leur réversibilité avec ses souvenirs de Bacongo et de la société brazzavilloise d’avant la guerre civile et du début de celle-ci. Cela a été moins une décision de sa part qu’un prisme qui s’est imposé à lui pour comprendre un Médoc qui dans ses paysages, forêts vignes et marécages, et ses habitants duplique l’Afrique, non que celle-ci en soit l’essence ni le spectre, mais bien parce que la presqu’île girondine et le continent de Cham Caliban et Othello ont été accouchés au forceps. Cette résonance est manifeste au cimetière de Grayan-et-l'Hôpital.
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