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Photo du rédacteurjmdevesa

Marché du livre et inactualité



Chronique du Grand Arrière (13). En cette fin de semaine, Bordeaux va fêter le livre et la littérature à l’occasion de la tenue de son Escale. C’est une façon de voir et de dire, d’inspiration communicante et donc empruntant ses accents optimistes à la rhétorique du marketing et de la politique, lesquels ont fâcheusement tendance à se confondre. Bref, la frange d’ailleurs pas du tout homogène dans ses pratiques et ses centres d’intérêt pour qui les livres constituent des productions humaines dont elle a besoin, pas seulement pour le travail, mais dans son existence, parce qu’elle les regarde comme des vecteurs de pensée et de réflexion, et une source de plaisir, par conséquent cette frange toujours attachée à cette relation singulière du sujet au monde qu’implique la lecture, depuis que l’invention de Gutenberg à instaurer un rapport personnel au texte, en substituant la lecture mentale dans « le silence du cabinet » à la lecture à haute voix d’un seul au profit du groupe assemblé autour de lui, ces curieux sectateurs du beau papier d’une typographie recherchée et des reliures soignées, pas encore convertis à la liseuse, aimant pour certains souligner et cocher (comme je le fais) les passages et les mots qui les touchent et sollicitent le plus leur imaginaire, ceux-là se retrouveront de vendredi à dimanche autour des stands de l’Escale du livre de Bordeaux, et ils en seront heureux. Ce n’est pas moi qui leur jetterai la pierre d’autant que je m’y rendrai à l’invitation de la Librairie La Mauvaise Réputation et d’Espaces Marx.


Parmi les auditrices et les auditeurs, j’en devine plusieurs qui sourient : Grand Arrière ou pas, Devésa lui aussi ne rate pas la moindre occasion de glisser dans le micro qu’il fait des livres, et comme les autres dont pourtant il se gausse en les accusant de céder aux sirènes de la marchandisation le voilà qui essaie de placer sa came, de donner envie à celles et ceux qui l’entendent d’acheter sa prose… Il a beau poser à la conscience vertueuse, comme les auteurs qu’il persifle en les accusant de se vendre, il a assez d’agilité dans les reins et de bagout pour esbaudir un public en faisant la roue et verser dans le boniment afin de séduire les chalands et leur fourguer ses bouquins, en répertoire de grimaces le vieux singe n'est pas le plus à plaindre, et à la racole Devésa n’est pas le plus démuni, d’ailleurs ne convient-il pas de se méfier de celles et de ceux qui proclament ne pas manger de ce pain-là, l’expérience tendant à démontrer que les rhétoriqueurs les plus retors se repèrent à leur art de manier l’astuce et la prétérition, prodigues en « je ne suis pas de l’engeance qui… » et en « je n’appartiens pas à cette cohorte de démagogues qui… », ou encore en « à la différence de… je n’avancerai pas que… », ils réussissent sans trop de mal n’est-ce pas à embrouiller et emberlificoter qui a eu la candeur de leur prêter l’oreille…


Vous admettrez, chères auditrices et chers auditeurs, que je ne tente pas de vous enfumer, au contraire, ma suggestion de recourir à l’endroit des baratins, y compris le mien, qui prétendent à la divulgation salutaire des vérités cachées depuis que le monde est monde et que les sphères célestes sont au-dessus de nos têtes, cette incitation participe de toute évidence d’un souci de salubrité publique, j’avoue ronger mon frein qu’on m’en soit aussi peu reconnaissant, j’aurais aimé un peu plus d’empressement de la part de la presse de l’institution littéraire et des autorités culturelles de la place à encenser à la fois mon abnégation et ma clairvoyance.


Alors, forcément, vous sentez une pointe d’amertume dans ma voix. Comme ma pomme, vous trouvez insolite que personne ne songe à me convier à une quelconque table ronde ayant trait aux Gilets jaunes maintenant qu’il est de bon ton d’encenser leur geste de la scruter et même de la thésifier et de la cnrsifier, le silence entourant mes Scènes de la guerre sociale relevant de celui des espaces infinis… Et, comme cézigue, vous vous rembrunissez quand vous pensez que mon roman Garonne in absentia n’a pas été signalé dans Sud-Ouest alors que bien des nanars commis par d’insignes sommités locales y bénéficient de généreuses tartines. Les sceptiques et les forts en thème insinueront que, si je suis si grincheux, c’est que je suis piqué que ma prose ne soit pas tête de gondole dans les librairies et que les organisateurs de l’Escale du livre ne me déroulent pas le tapis rouge. Oui, vous pouvez vous rengorger, et plastronner, en fait la lucidité de Jean-Michel a pour limite son narcissisme, ce qui le dérange et le démange, ce qui le décoiffe, c’est de ne pas accéder à la lumière, il contrefait le retrait alors qu’il aspire à la visibilité et à la notoriété, sa récitation des classiques de la sociologie de la littérature, Bourdieu la distinction et la fabrique des écrivains, ce n’est qu’un vernis pour dissimuler son désappointement, pauvre garçon, une fois sa feinte éventée il est à plaindre, indiscutablement…


Il me paraît oiseux d’ergoter pour déterminer si mon cas trahit les travers d’une sidérante imposture ou s’il exprime plutôt une touchante fragilité psychique. Je préfère m’en tenir à mes convictions tout en n’écartant pas l’éventualité que, sous leur lettre, nichent de louches mobiles inconscients.

Quoi qu’il en soit, le champ littéraire n’est pas étranger à la tendance générale du capitalisme globalisé laquelle ne cesse d’assigner à l’existant comme au vivant, au trouvé et au découvert comme au produit et au créé, le statut de marchandise. Si bien qu’en son sein prévalent de plus en plus les règles les habitudes et les comportements inhérentes au marché et à ses évolutions récentes : vendre des livres suppose que l’image la réputation le parcours de ceux qui les ont écrits se prêtent à une complaisante exposition ou que ceux-ci mettent en récit un vécu un fait divers une catastrophe individuelle ou collective de nature à susciter des émotions fortes, d’identification transie d’adhésion enthousiaste ou de rejet offusqué. Comme dans la plupart des secteurs de l’économie, la quête du profit s’effectue désormais sous les modalités du spectacle et du sensationnel. Les écrivains renommés ont disparu, mais non, je n’exagère pas, ils ont été supplantés par des vedettes surestimées de l’édition lesquelles s’effacent devant le soudain et irrépressible surgissement des stars médiatiques. Quant aux auteurs, les connus comme les reconnus les méconnus et les pas connus, s’ils veulent qu’une lueur de consécration vienne caresser la couverture de leurs volumes ils doivent consentir à leur uberisation, un écrivain ne se contentant plus d’écrire il lui faut de surcroît endosser les habits du V.R.P. et du blogueur, en concevant et en assumant sa propre promotion, procédant en la matière exactement comme les autres artistes, ceux du théâtre du cinéma et de la musique par exemple, lesquels sont contraints, parfois par contrat, à assurer la publicité de leur travail.


Quoique dans la langue que nous employons résonnent ces affligeantes réalités, seule une poignée d’amateurs de livres et de littérature s’alarme de ce à quoi sont réduits ceux qui les conçoivent, tous les autres ne bronchant pas au fait que l’on désigne une rencontre avec des auteurs des termes de « foire » et de « salon ». Deux ou trois l’ont affirmé avant moi, de même que la poésie a son « marché », la publication mue de saison en saison en une « poubellication » à la mémoire courte, les révélations et les « valeurs » qu’on applaudit étant vouées le plus souvent à un évanescent succès par une machine éditoriale certes friande de célébrations et de centenaires mais obstinément fermée à une patiente situation dans l’histoire des formes des idées et des sensibilités, ainsi que dans celle des peuples et des cultures, de ces bizarres concrétions langagières agencées, quelquefois si douloureusement, par des écrivains et des poètes n’ayant cure d’être payés en fausse monnaie par une aveugle postérité. En cette veille du 28e anniversaire du début du génocide des Tutsi du Rwanda (7 avril 1994) et à quelques encablures de la 18e Escale du livre de Bordeaux, il me semble assez judicieux d’exalter l’inactualité et le caractère sublimant des œuvres que l’Histoire traverse et qui à leur tour passent les siècles.





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