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"On écrit toujours avec une main coupée"


(Intervention liminaire à "Un après-midi à Bordeaux", Station Ausone / Librairie Mollat, Bordeaux, 8 juin 2023)


Pour Hélène Cixous, l’écriture ne renvoie pas à un statut ni à une profession, mais à un acte : Hélène Cixous écrit, elle écrit en collaboration avec les voix qui l’habitent et la traversent.


S’il faut figurer, imager sa production considérable depuis 1967 et la parution de son recueil de nouvelles Prénom de Dieu, je suggèrerai qu’elle équivaut à un continuel et profond questionnement :

Qui parle, qui écrit quand « j »’écris/t ? ‑?


« ‘Le silence la nuit me disait une autre bouche. Cette femme qui soyeusement se signifiait, n’était pas moi, mais je le sentais de l’intérieur de son mouvement ; elle était le désir d’elle-même se cherchant dans le noir avec une telle nécessité ; l’innocente urgence de femme. Ce que toutes les femmes savent ne pas savoir, en corps. » (La, p. 12)


Pour ce qui me concerne, cette interrogation,

Qui parle, qui écrit quand « j »’écris ? ‑?,

telle que je l’ai lue en 1976 dans Angst, n’a cessé de m’accompagner, adossée à ma lecture de Freud et de sa thèse relative à la bisexualité psychique, laquelle pour ma génération et au sein des milieux intellectuels, culturels et politiques que j’ai fréquentés a été reprise et retravaillée dans le champ des sciences et des interventions sociales notamment par Antoinette Fouque, en ces termes :


« Né(e) fille ou garçon, on devient femme ou homme, mais aussi masculine ou féminin, fil(le)s de mère ou de père. C’est tout le problème de la distance du genre au sexe, des identifications complexes dont se structure, se compose chaque sujet ; en somme, il faut prendre en compte ici la dimension de la bisexualité psychique. »


Et si cette problématique me parle autant, peut-être est-ce bien parce qu’à l’époque oùj’ai commencé à lire Cixous je commençais à m’atteler à un chantier qui, à travers la problématique soulevée par un certain René Crevel, celle de Mon corps et moi, m’invitait à prendre au sérieux, et donc en quelque sorte à bras le corps, ce qui « machinait » à travers et dans ma bisexualité psychique.


Et, si en 2023 cette problématique m’interpelle toujours autant, peut-être est-ce aussi parce que je me suis efforcé,

pardon : peut-être est-ce aussi parce que je m’efforce toujours,

de comprendre et de suivre les bouleversements qui transforment profondément notre société,

à savoir par exemple la sortie progressive pour beaucoup d’entre nous de l’acceptation du diktat de la nature et du placard,

et la crise actuelle de l’hétérosexualité en ce qu’elle participe du patriarcat et des normes sociales.


A cette question Qui parle ?, comme pour beaucoup d’entre nous, les réponses provisoires, toujours remaniées, que j’y ai apportées ont été à la fois éclairées et heurtées par plusieurs des livres de Cixous.


Son dernier ouvrage MDLEIMM nous a incités à partager et à mettre en commun les observations, remarques et prolongements que suscitent en nous et chez nous ses livres et son théâtre, et donc à nous y arrêter, avec vous toutes et tous, un après-midi, celui d’aujourd’hui.


Car Hélène Cixous écrit,

elle sent, pense et écrit avec ses morts et ses « fanthommes »,

et aussi avec les œuvres auxquelles elle et nous avons accès, par notre histoire culturelle et du fait de nos trajectoires respectives,

celles d’Homère, de Montaigne, de Shakespeare, de Stendhal, de Joyce, de Proust, de Kafka,

pour ne citer qu’eux.


Hélène Cixous est poète de vérité parce qu’extrêmement attentive à la lettre,

de la vérité en effet elle s’approche « avec les plus grandes précautions. Car elle est mortelle. Une lettre de trop et tout serait à jamais perdu » (Angst, p. 144).


Aussi est-ce de son poème en variation continue, donc en association libre généralisée, que nous allons vous entretenir et dont nous allons discuter, entre nous, et avec vous.


J’espère que vous ne serez pas déçu par nos contributions, celles que nous allons vous présenter.


Quant à moi j’émets le vœu d’être (devant vous) assez « myope », comme la vieille taupe qui, depuis Shakespeare ((Hamlet, I, 5), Hegel Hegel (Leçons sur l’histoire de la philosophie) et Marx (Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte) chemine à travers les grands textes, pour discerner avec une certaine justesse ce qui est en jeu à la fois dans la matière dont sont fait les rêves et dans le persévérant travail de la langue auquel se livre Hélène Cixous.



Photographie de Céline Largier-Vié.




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