Chronique du Grand Arrière (15). L’entre-deux-tours des élections présidentielles m’a déprimé. Les déclarations des principaux dirigeants de la gauche et de l’extrême gauche et les commentaires de bon nombre des amis relations connaissances et inconnus que j’ai croisés pendant cette période m’ont passablement désespéré. Très peu ont été à même de penser la situation politique en ne s’enfermant pas « mentalement » dans le périmètre des institutions de la Ve République : et comme dans ces conditions le salut ne peut être qu’électoral, je me suis vu embarqué dans d’interminables et stériles empoignades quant à la nécessité de « faire barrage » au fascisme et de voter, certes à contre-cœur, mais de voter quand même Emmanuel Macron au second tour.
Pour qui n’en reste pas à l’écume des discours mais se livre à leur lecture symptomale, ce que l’on entend depuis des semaines est assez affligeant car tous ces propos se voulant en prise avec les aspirations populaires ignorent la réalité d’un capitalisme qui ne se réduit pas à des rapports de production mais constitue un monde en face duquel il n’y a rien, ou quasiment rien, en tous les cas rien de susceptible de constituer une alternative, avec un horizon et surtout un ensemble de pratiques concrètes, de pratiques matérielles, comme dans les années 1950-1960, en France avec ce qu’on a appelé le communisme municipal (ses colonies de vacances, ses maisons des jeunes et de la culture, son maillage social en faveur des couches les plus défavorisés), la ceinture rouge de Paris par exemple laquelle préfigurait une France progressiste ; et à l’échelle internationale nos aînés songeaient à l’avenir radieux socialiste et communiste incarné selon les circonstances et les intéressés par l’Union soviétique et l’Europe de l’Est, par la Chine populaire, par Cuba ou même par l’Albanie…
Et puis, chères auditrices chers auditeurs, m’ont exaspéré ces lyriques directives qui sous de tonitruants « on peut gagner, on va gagner » trahissaient de médiocres calculs d’appareil puisqu’il était clair pour qui savait entendre et écouter, que ce qui était en jeu, ce n’étaient pas les conditions de rassemblement pour battre Macron et l’extrême droite, mais les modalités de la recomposition de la gauche et de l’extrême gauche que je désignerai ici sous le vocable de « gauche et extrême gauche de gouvernement », avec ce que pour elles cela implique en termes de députés et d’élus à l’Assemblée nationale, et donc de ressources financières pour les partis et les mouvements concernés, c’est-à-dire une intendance et une logistique capables de réunir les salaires des permanents des organisations et d’entretenir les sièges de celles-ci, afin d’éviter un naufrage comparable à celui du Parti socialiste contraint de vendre Solférino.
Ces préoccupations que je brocarderai en les qualifiant d’alimentaires, une rhétorique de préau d’école les a drapées dans un héroïsme de pacotille : devant la menace fasciste, sonnait l’heure de la mobilisation. De maigres troupes ont défilé mais on s’est convaincu que c’était un raz-de-marée, quelquefois on s’est remonté le moral en brûlant des poubelles et en fracassant des vitrines, et on a glissé dans l’urne un bulletin qualifié de « républicain » pour ne pas perdre la face, on a bien sûr scandé trois-quatre slogans en feignant d’ignorer que cela faisait cinquante ans qu’on les criait, et on a exhumé pour la énième fois la vidéo life des Béruriers noirs clamant que la jeunesse emmerdait le front national, sur les réseaux sociaux finalement on s’est fendu de cinq-six « post » vengeurs, et, s’étant donné ainsi bonne conscience, persuadé d’avoir vigoureusement résisté et heureux d’avoir échappé au pire on est rentré (comme le chantait Claude Nougaro) sagement chez son automobile… Ou plutôt on s’en est retourné à l’éternelle palabre destinée à sauver les meubles et à préserver les appareils de la banqueroute finale… C’est à chialer, cette présidentielle propédeutique aux législatives.
Eh oui, mes amis mes camarades, nous avons voté, moi en tous les cas le 10 avril, et de nouveau, dans quelques semaines, nous voterons. Quoi ? Pardon ? Il y en a encore pour jouer aux fanfarons et m’objecter un rageur « et puis après ? », le 1er tour des Présidentielles ne leur a pas suffi, ils en redemandent ? Ils ergotent et chipotent ? Observez ceux-là à la vue basse qui récitent leurs classiques en se pinçant le nez, pas assez ceci pas assez cela la plateforme de la nouvelle union populaire, et le mélenchon trop bourrichon, et peut-être même insupportablement cornichon, enfin vous voyez, chères auditrices chers auditeurs, n’est-ce pas, vous saisissez, comme vous, cette perspicacité cette rigueur stratégique cette hardiesse tactique elles me sidèrent ; et n’oubliez pas de reluquer ceux-ci, bien qu’ils l’aient signé l’accord ils ne se gênent pas pour cultiver à haute voix la rancune, c’est sûr qu’avec pareils et enthousiastes renforts la victoire est à notre portée… Bon, vous m’accorderez, chères auditrices chers auditeurs, que je m’épargne le désagrément d’évoquer ces déchus qui s’alarment en brandissant les guenilles d’une histoire qu’ils prétendent avoir été épique alors qu’elle n’a été que celle de leurs trahisons et de leurs capitulations… Ces incorrigibles bavards incapables de s’emparer des armes, de toutes les armes, à leur disposition, y compris celle du vote, ne méritent pas que nous nous attardions à les passer en revue.
Pour être franc, j’ignore si le poids de celles et de ceux qui le 12 et le 19 juin choisiront l’espoir sera à même de neutraliser les effets délétères du mode de scrutin actuel. Ce dont je ne doute pas, c’est qu’il nous faut en être. Aussi, depuis mon Grand Arrière où parfois il m’arrive de vous effrayer, comme l’autre jour quand je vous ai dit qu’il fallait parfois rendre coup pour coup, eh bien, depuis mon Grand Arrière, je vous appelle à refuser d’entendre ces ridicules et ces pusillanimes à qui la défaite permet de poser aux purs et aux durs, parce que des échecs et des couleuvres il serait grand temps de ne plus en avaler !
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