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Photo du rédacteurjmdevesa

Cette humanité qui de l’automne fait un printemps…

Bordeaux, jardin des dames de la foi, jeudi 7 octobre.



Pour ne pas s’enliser dans la mollesse, deux fois par semaine il court, dix kilomètres, près de son domicile, au jardin des dames de la foi, un parc désormais public avec de vénérables platanes et des allées jonchées de feuilles mortes, la congrégation l’ayant cédé à la municipalité. Il y va peu après l’ouverture et entame sa ronde avec la farouche volonté de ne pas s’arrêter, vingt-cinq tours d’une traite, épreuve d’endurance, bien sûr, travail de la respiration et du coffre, foulées régulières, rythme de métronome, on n’est pas obsessionnel pour rien, avec la satisfaction à la fin presque le bonheur de constater que la carcasse demeure solide…


Aujourd’hui, il n’a quasiment croisé personne, jusqu’à ce qu’il aperçoive un vieil homme émacié, en pull gris, les mains ramenés au dos, les yeux dissimulés derrière une paire de lunettes noires, il a l’allure d’un marlou à la retraite. Depuis trois ou quatre semaines, à cause de sa physionomie renfrognée il s’interdit de le saluer, même d’un hochement de tête.


Arrive le dixième tour, il sent son pied droit flotter, le lacet est en train de se défaire… Il réprime un début de contrariété, inutile de pester, plutôt s’arrêter que s’escagasser dix mètres plus loin, il ralentit et dévie sur sa gauche, vise un banc dans l’idée d’y prendre appui et de se rechausser plus commodément, or le quidam si peu avenant est à sa hauteur, lui l’ignore et passe dans son dos, sans lui jeter un regard.


Une voix étonnamment chaleureuse s’adresse alors à lui. Fatigué, n’est-ce pas, vous avez besoin de prendre un peu de repos… Il se retourne : il n’en est rien, je ne veux pas tomber, c’est tout, je repars immédiatement, il me reste trente-cinq ou quarante minutes avant de vraiment souffler… Le type ne le laisse pas terminer. Ah j’ai fait du sport toute ma vie, du vélo, depuis l’enfance, maintenant je n’en suis plus capable, mon médecin me recommande de marcher, un quart d’heure, ici c’est tranquille, les arbres la fraîcheur les oiseaux, un quart d’heure c’est un kilomètre, le toubib trouve que c’est assez pour que je garde la forme, vous devinez l’âge que j’ai, monsieur, j’ai quatre-vingt-dix ans… Ce matin-là, l’automne a marié l’espoir à la mélancolie.




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