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Photo du rédacteurjmdevesa

Entre passage des plantes et rue du souvenir (le chantier du roman)

Dernière mise à jour : 15 févr. 2023




Maïté dort à Maisons-Laffitte, à trois pas du passage des plantes et de la rue du souvenir, près de la voie ferrée, derrière le carré militaire, elle aurait mérité Collioure ou Port-Vendres même si elle n’était pas poète ni chef d’un état imaginaire ni envoyée plénipotentiaire en chapka et canadienne de l’Internationale, elle était en effet plus que cela, une camarade et une amour de jeunesse, une camarade qu’il a mal aimée, et ce remords est de ceux qui l’habitent et l’obsèdent, l’été dernier hélas le ciel pour elle s’est fait lourd, et ses yeux se sont clos, le crabe l’avait cramponnée de son torve grappin, il avait été incapable d’échanger avec elle depuis qu’il la savait malade, depuis trente années ils ne s’étaient plus rencontrés, ils s’écrivaient de temps en temps, elle en avait pris l’initiative en 2011 : navrée de resurgir après tant d’anniversaires nous avions la vingtaine quand nous nous sommes connus puis la trentaine à notre revoyure… sous le soleil déjà printanier de février refait surface leur correspondance d’amants séparés, elle voulait comprendre plus que juger, elle se sentait plus humaine que lorsqu’ils militaient : ainsi à l’université tu t’ennuies c’est ce que j’y ai éprouvé y compris lorsque nous nous imaginions la révolutionner, oh je ne suis que très peu retournée à Bordeaux mais chacune des fois où je me suis retrouvée à la gare de Saint-Jean j’ai ressenti les mêmes sensations qui alors m’accablaient, notre génération est arrivée après la fête de 1968, la salle de bal était fermée, nous cognions à la porte, avec volonté, celle-ci refusait obstinément de s’ouvrir et nous ignorions quelle force la maintenait, nous en nourrissions une certaine tristesse, aussi nous consolions-nous entre nous… devant la sépulture sans monument funéraire dans laquelle un diable boiteux l’a ensevelie il s’accuse d’avoir stérilisé ce qui dans cette consolation était pourtant en germe, il n’a pas donné ce qu’il avait à celle qui lorsqu’elle le recevait dans ses velours et ses câlins ne lui dissimulait nullement qu’elle le désirait, ce quelque chose en sa possession, quand il l’a priée de pardonner sa goujaterie elle a souri : dans nos étreintes au moins retrouvions-nous quelques émotions fortes qui nous faisaient exister et battre le cœur, et puis il a bien fallu affronter la question de notre insertion dans la société, Frédéric et toi avez choisi l’enseignement, d’autres l’administration, je sentais que ce n’était pas ma voie et que je ne pouvais pas m’enfermer dans quelque chose d’aussi définitif, je me souviens de notre rencontre, elle fut brève mais elle m’a impressionnée, tu offrais tout avec beaucoup de générosité et après tu reprenais tout, auprès d’elle il a souvent battu sa coulpe : je te presse de ne pas m’absoudre, je demeure vis-à-vis de toi en dette morale, cet été-là, alors que j’étais en poste en Algérie, j’ai été cavalier, cher toi mon orgueil de vieille dame aurait préféré des regrets à des remords, quelle dette veux-tu payer, toutes tes cellules se sont renouvelées depuis cette époque, tu ne peux donc pas être tout à fait le même... laissons, veux-tu… j’ai repris mon activité professionnelle, le commercial, nous sommes cent corbeaux pour trois miettes de pain, toi, raconte-moi la fac et raconte-moi ce que tu écris, je t’embrasse, remords regrets ne sont pas synonymes, tu as raison de porter le fer où cela blesse, tu avais tout pour me plaire, et tu me plaisais, certes tu ne m’accuses pas, moi je me désole de constater que je n’étais pas prêt, j’ai été sot : j’étais un gosse j’avais la fringale ; j’avais aussi trop peur d’être quitté abandonné dupé, mon comportement d’alors, ce libertinage, j’en ai aujourd’hui honte, oui je regrette de ne pas avoir essayé avec toi, maintenant et depuis longtemps il est trop tard, là encore je ne cherche aucune excuse, j’ai appris le principe de réalité... Au cimetière de Maisons-Laffitte, devant la tombe de Maïté, brusquement il a aussi mauvaise conscience, parce que pendant quarante ans avait subsisté un peu de l’amour qu’elle avait éprouvé pour lui elle l’a tancé doucement quand il s’est plaint de vieillir, forte de son savoir comment vivre et de ses intuitions elle aurait pu le quereller et rire de sa boursouflée mélancolie : mais enfin tu ne vas pas mourir tout de suite pourquoi ces exagérations même si la cinquantaine passée le corps et l’esprit nous envoient de curieux messages tu n’as aucune raison de t’en affoler…




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2 Comments


mnoellefargier
Feb 15, 2023

Elle aurait "mérité"..., les mots du "il" lui offrent un Collioure paradisiaque et combien réel avec ce que l'humain transporte de plus lourd. Ce passage est très beau.

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jmdevesa
jmdevesa
Feb 15, 2023
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Merci mille fois à toi, pour elle.


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