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Photo du rédacteurjmdevesa

Mon amie ma camarade tu avais raison...




Tout à l'heure, au supermarché du quartier, temple de la consommation édifié sur l'emplacement de la parcelle qui avait été celle de la famille de Philippe Sollers, deux maisons une usine dont il ne reste rien, pas même le souvenir, il faut être un rat de bibliothèque pour ne pas l'ignorer, donc là, en ces lieux où l'on va se ravitailler en comptant ses sous, en cagnotte vous avez deux euros, et les bons à gratter ou à jouer, vous les prenez, lui s'en contrefiche, là donc, une rencontre, laquelle l'a projeté lorsqu'elle Graziella et lui étaient jeunes et larges d'épaules, il était dans ses pensées, comme d'ordinaire, c'est-à-dire dans la douleur de voir le monde dévasté, et la tristesse de savoir que les soulèvements de Nanterre ne se conjuguent pas avec ceux de la terre, réitération de la guerre des paysans, depuis des décennies, chacun de son côté, et à la fin la défaite pour tous, le spectacle continuant, obscénité du capital et impuissance des petits et des pauvres, paralysie de l'intelligence, c'est l'été et les vacances qui approchent, destination le bronze-cul de l'Europe, cette année c'est où ?, faudra regarder le "20 h" pour être au parfum, il roulait tout cela dans sa caboche, et à la caisse elle est venue le saluer.


Mon amie ma camarade, merci à toi de l'avoir reconnu, malgré les rides et le corps qui défaille, ton sourire l'a réconforté, nouvelles échangées, accolade, bises, et puis ce sentiment qui l'a traversé : à Nanterre, en 1968, l'université coudoyait le bidonville, les m.-l. cherchaient à y être comme des poissons dans l'eau, aujourd'hui qu'en est-il, les banlieues comme en 2005 s'embrasent, et la petite bourgeoisie (que sa trajectoire professionnelle lui a fait rejoindre) "suit l'affaire" dans les journaux, mais "Libération" n'est plus le "Libé" de cette époque, quand Sartre et Beauvoir vendaient "La Cause du peuple" et que Ferré chantait qu'il fallait l'acheter et le lire, ô toi, son amie sa camarade, chère Graziella, il te doit une confidence, il vit depuis cinquante ans avec un terrible regret, à quinze ans il a choisi de rester "au plus près de la classe ouvrière et de ses organisations", Louis le conseillait, dissuadant le groupe auquel il appartenait de rejoindre des aînée(e)s, comme Michelle Loi et Robert Linhart, il l'avait écouté, il a eu tort, c'est toi, chère Graziella qui avait raison, au lieu de "positionner" et de fractionner dans le PC il aurait dû rejoindre ton courant, cela aurait plus clair, moins schizophrène, certes cela n'aurait rien changé, la contre-révolution était en marche depuis les élections de Juin 68 et l'assassinat de Pierre Overney, aucun de vos amis et vous-même ne le perceviez, un m.-l. de plus ou de moins, cela n'aurait rien changé, vous aviez perdu, il n'empêche que cela aurait été mieux, en tous les cas pour lui, à l'heure des bilans il aurait été moins amer, voilà ce qu'il voulait te confier ce matin et qui lui est resté au bout de la langue, Graziella, tu avais raison et il avait tort.


Ce faisant, ce matin, dans ce centre commercial du diable, te voir et parler avec toi cela l'a illuminé. L'espace d'un cillement vous n'étiez plus en 2023, vous aviez renoué avec le passé et ses combats. Et comme un pauvre erre il a songé que ni toi ni lui n'aviez trahi, toi la syndicaliste lui l'écrivaillon.


Que ces lignes ne t'importunent pas ni ne te paraissent ridicules, pour aujourd'hui son dernier mot sera un MERCI à ton endroit.



2023, à une manifestation contre la réforme des retraites. Photographie de Loïs Mugen.


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