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Tapie, une aventure française…


Chroniques du Grand Arrière (2). Les morts, je les respecte. Et les vivants aussi, même quand ils sont des adversaires. Évidemment, il s’en trouve, des vivants, que j’aime plus que d’autres et il en est que j’abhorre en raison de leurs responsabilités ou de leur complicité dans l’exploitation de leurs contemporains et la dévastation de la planète. C’est humain, et je travaille beaucoup pour le devenir, humain, c’est-à-dire pour réduire le plus possible ce qui chez moi peut participer, malgré moi, de la reproduction des rapports de domination qui divisent les individus et en asservissent l’immense majorité. Mais les morts, je vous assure, je les respecte vraiment tous, même ceux qui, de leur vivant, ont été du camp des oppresseurs.

Cependant le trépas n’excuse rien ni ne sanctifie, enfin, selon moi, aussi s’incliner devant la mort n’a-t-il pas pour corollaire d’oublier les actes posés et les discours tenus par celles et ceux qui ne sont plus, notamment quand il s’agit de vilenies. Je crois simplement que se réjouir de la mort quand bien même serait-ce celle d’un odieux personnage n’est pas signe de beaucoup d’humanité.

Voilà pourquoi le décès de Bernard Tapie ne m’a pas rendu joyeux. En revanche, les louanges que lui ont décernées la presse et une grande partie de la classe politique m’ont horripilé, à commencer par la une de l’hebdomadaire Le Point titrant sans vergogne « Une aventure française, Bernard Tapie, 1943-2021 ».

M’a consterné en particulier le parfum nationaliste de la formule : d’abord, parce qu’à bien des égards il est désolant de constater que par exemple dans la sphère sportive, entendons dans la sphère du sport spectaculaire et commercial, celui où quelques « héros » du stade sont élevés au rang d’icônes et rétribués selon des montants que je peine à me représenter, l’amour du maillot est équivalent dans l’ordre du symbolique et du politique à celui du drapeau, cette passion française ou pas n’est pas de celles qui m’enthousiasment, au contraire, en gauchissant la pensée de Spinoza je la perçois comme une passion triste ; ensuite, parce que l’expression du Point relève non pas simplement d’une réécriture de l’histoire mais de son escamotage, occultant la réalité des pratiques littéralement antisociales du « chevalier d’industrie » Bernard Tapie, en l’occurrence un repreneur sans état d’âme comme toutes celles et tous ceux qui consentent à exercer cette fonction, je n’ose dire ce métier...

Vous avez compris que mon chagrin et ma compassion, à vrai dire : mon chagrin et ma solidarité, ne vont pas à Bernard Tapie mais aux ouvrières et aux ouvriers qu’il a licenciés. Ces travailleurs je les salue, les vivants et les morts, et les applaudis, et les congratule, en paraphrasant les mots clamés par Léo Ferré, ce libertaire qui dans sa chanson « Le Conditionnel de variétés » appelait à « acheter » et à « lire » La Cause du peuple, le journal de la Gauche prolétarienne, après son interdiction. Aussi, à vous qui vous en souvenez de ce chant et du combat mené par et autour de La Cause du peuple que je confonds franternellement avec les autres courants de l’extrême-gauche, à commencer par les établi(e)s, les camarades du Service d’ordre de la Ligue communiste dirigé par Michel Recanati et tous les « althussériens » encartés ou non au Parti communiste français ; et à vous qui les ignorez, cette chansonnette et ces batailles, en ces termes je m’adresse :


Je ne suis qu’un écrivain de Variétés et ne peux rien dire qui ne puisse être dit « de variétés » car on pourrait me reprocher de parler de choses qui ne me regardent pas.

Comme si je vous disais qu’un Premier Ministre Britannique ou bien papou ou bien d’ailleurs pouvait être déclaré incompétent

Comme si je vous disais qu’un ministre de l’Intérieur d’une République lointaine ou plus présente pouvait être une canaille

Comme si je vous disais que les cadences chez Renault sont exténuantes

Comme si je vous disais que les cadences exténuent les ouvriers jamais les Présidents Comme si je vous disais que l’humiliation devrait pourtant s’arrêter devant ces femmes des industries chimiques avec leurs doigts bouffés aux acides et leurs poumons en rade

Comme si je vous disais qu’à Tourcoing et plus généralement dans le textile en ce moment ça licencie facile


Comme si je vous disais de fermer vos télévisions ordinateurs et smartphones pour n’écouter que la radio La Clé des ondes,


Comme si je vous disais qu’un intellectuel peut descendre dans la rue et vendre le journal

Ainsi que l’ont notamment fait Simone de Beauvoir, Jean-Paul Sartre et François Truffaut,

Comme si je vous disais que ce journal est un journal qu’on aurait pu interdire

Comme si je vous disais que le pays qui s’en prend à la liberté de la presse est un pays au bord

du gouffre

Comme si je vous disais que ce journal qui aurait pu être interdit par ce pays au bord du gouffre pourrait peut-être s’appeler la Cause du Peuple

Comme si je vous disais que le gouvernement intéressé par ce genre de presse d’opposition pourrait sans doute s’imaginer qu’il n’y a ni cause ni peuple

Comme si je vous disais que dans le cas bien improbable où l’on interdirait le journal la Cause du Peuple il faudrait l’acheter et le lire

Comme si je vous disais qu’il faudrait alors en parler à vos amis

Comme si je vous disais que les amis de vos amis peuvent faire des millions d’amis

Comme si je vous disais d’aller faire tous ensemble la révolution

Comme si je vous disais que la révolution c’est peut-être une variété de la politique

Et je ne vous dis rien qui ne puisse être dit de « variétés » moi qui ne suis qu’un écrivain de Variétés…


(les passages en italique reprennent à la lettre le texte de la chanson de Léo Ferré).








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